Tribunal J2

Publié le par Opale

13 mars , 7h : La nuit a été courte, je suis réveillée depuis un moment déjà et je ne cesse de me demander ce qui va se passer aujourd'hui. Pour moi c'est quitte ou double, s'il est là je serai enfin libérée , s'il n'est pas là il va falloir encore attendre, et combien de temps?

Une douche et ensuite avec D. je peux profiter du seul moment agréable de la journée, un bon petit déjeuner à l'hôtel, dans leur belle salle où les vitraux sont baignés de soleil. D. tente de me détendre et ce n'est pas chose facile, je sais que lui aussi se demande ce qui se passera . On prépare nos bagages au cas où et on emmène le tout, tout en disant à l'accueil que l'on appellera vers 9h pour dire si l'on reprend une chambre pour le soir.

Il est l'heure d'y aller, même pas 10 mn de trajet jusqu'au Tribunal et j'ai peur , tellement peur. En même temps j'espère de toutes mes forces , j'espère qu'ils l'aient eu chez lui hier soir ou ce matin, j'espère qu'on fasse ce foutu procès aujourd'hui et demain matin et qu'enfin, enfin je sorte de cette procédure qui a duré plus de 4 ans. J'espère de toutes mes forces tout en me disant "non tu ne dois pas y croire, si tu y crois tu vas être trop déçue."

Nous arrivons dans le hall, on doit d'abord comme à chaque fois passer nos affaires au portique, il y a la queue, j'aperçois au loin ma mère, ma soeur et ma nièce. Je leur lance un regard interrogateur et d'un signe de tête elles me font comprendre qu'elles n'en savent pas plus que moi pour le moment. On attend notre tour, on passe le portique et ma nièce vient me dire qu'ils l'ont, qu'il est là. Je n'ose pas y croire, mon coeur fait des bonds, je demande d'où elles tiennent l'info et ça vient des jurés. Je me précipite vers l'huissier pour vérifier l'information et il me dit "oui rassurez-vous il est là."

Je suis à quelques minutes du début d'un procès qui me terrifie et pourtant j'ai l'impression de ressentir le plus grand soulagement de toute ma vie, pour un peu j'embrasserais Taré 1er d'être là ! (enfin n'exagérons rien...) Il reste 10 minutes, je file appeler ma maman de coeur, ma voix tremble , je suis tellement contente, demain midi ça sera fini, enfin fini. Je donne des nouvelles à mes autres amis via internet et je retourne dans la salle. D. de son côté appelle l'hôtel pour dire que l'on prend une chambre pour le soir .

Taré 1er fait son entrée entouré de deux policiers, il a les menottes aux poignets, ce qui est à la fois impressionnant et à la fois extrêmement symbolique pour moi. Il me semble vieux, de plus en plus vieux. Les policiers l'emmènent dans un petit "carré" où je suppose il attendra d'échanger avec ses avocats. Mon soulagement commence à laisser la place au stress, je réalise que ça y est il va falloir parler . Mon avocate arrive et je l'informe de la bonne nouvelle, elle me répond qu'il peut tout de même y avoir une demande de renvoi, je lui dis qu'elle me fait peur, je ne veux pas entendre ça, mais elle me rassure et part à la rencontre de la Présidente et des avocats de Taré 1er, tous réunis dans les bureaux .

Quelques minutes passent, je vois mon avocate revenir et immédiatement je sens que la nouvelle va être mauvaise, elle est décomposée. Elle arrive et m'explique que non seulement il y a demande de report qui sera acceptée mais qu'en plus il va falloir subir une épreuve supplémentaire car il semble que pour valider tout cela il faille malgré tout débuter le procès, c'est à dire tirer au sort les jurés, les installer, leur faire prêter serment, appeler les témoins et les mettre dans leur salle, puis lire le résumé des accusations .

Je m'effondre. Jusque là j'avais été incapable de me laisser aller tant que ma famille était là, mais là je ne peux plus rien retenir, c'est trop violent cette cruelle nouvelle après l'immense soulagement ressenti quelques minutes plus tôt . Tout vire au cauchemar , ça ne sera pas fini, je ne serai pas libre demain midi, je ne pourrai pas dire à ma maman de coeur "c'est fini" quand je la verrai à Pâques, tout s'effondre devant moi.

La sonnerie annonçant la Cour retentit et tout commence comme dans un mauvais film, les jurés ne savent pas que le procès sera reporté et que donc ce n'est pas eux qui jugeront Taré 1er . Mais ils sont tirés au sort, appelés, installés. Ma mère, ma soeur et ma nièce sont appelées, on leur prend leur téléphone portable et on les emmène en salle des témoins. Puis la Présidente procède à la lecture du "résumé de l'affaire" , un texte qu'elle doit faire le plus neutre possible permettant aux jurés de comprendre les accusations, les déclarations. C'est dur, c'est violent à entendre, les mots "sales" que je craignais sont là, certains détails glauques aussi, je serre fort la main de D. qui est à côté de moi, je regarde la table, je suis ailleurs. Ce "résumé" se termine par une phrase expliquant que Taré 1er n'avait pas de relations sexuelles avec ma mère car d'après lui "ça se mérite" . Remarque à vomir, même si je la connaissais déjà.

Je me dis que ça va s'arrêter là mais non, la Présidente ne parle toujours pas du renvoi et je ne comprends pas pourquoi . Elle parle des experts à venir , dont un à 14h comme si on allait réellement être présent à 14h alors que nous savons (elle, mon avocate, les avocats de Taré 1er, et lui j'imagine..) que le procès va être reporté .

J'ai le sentiment de revivre quelque chose de l'ordre de sa folie à lui. Entendre parler la Présidente en disant "Monsieur Untel à 14h" etc le tout en sachant que ça n'a aucun sens, c'est trop dur, trop incompréhensible, je craque et mon avocate demande à D. de m'emmener prendre un peu l'air. Nous allons dans le hall et pour le coup le peu de monde présent dans ce hall a dû m'entendre d'un bout à l'autre tant je n'en pouvais plus, tant tout cela était trop .

Nous revenons après que D.ait à nouveau contacté la charmante personne de l'hôtel pour lui dire non finalement on ne prend pas de chambre. Elle est consternée pour nous.

Quand nous arrivons un expert est interrogé par les avocats de Taré 1er, on ne parle toujours pas du renvoi, je demande à mon avocate "mais pourquoi elle le dit pas " ? Elle ne le sait pas mais en tout cas elle est en colère de voir ce qu'on me fait subir, il ne devrait pas y avoir ces questions de posées puisqu'il n'y aura pas de procès et qu'elles seront donc considérées comme nulles. Au bout d'un long moment on finit par enfin parler du renvoi, et il faut également parler de la mise en détention de Taré 1er, pour éviter qu'il ne refasse le coup de l'absence.

Entre temps j'aurais appris la "raison" de l'absence de Taré 1er le premier jour d'audience. Quand les policiers l'ont cueilli chez lui à 6h du matin, il leur a expliqué tranquillement qu'après son rdv vous avec son avocat l'avant-veille, il était allé voir pour un costume pour le procès, mais qu'il avait eu des "absences" et avait finalement mis deux jours à parvenir à retrouver le chemin de son logement. Raison totalement crédible donc. Ou pas...

Il va s'en suivre de longs moments d'attente car ce cas ne s'est jamais présenté. Quand quelqu'un ne vient pas à son procès, c'est pour échapper à la justice et il se cache donc ce qui là n'est pas le cas, on a retrouvé l'accusé mais on doit reporter sur demande de ses avocats qui entre autre soyons clairs n'ont aucune envie de travailler samedi matin. Présidente et avocats ne sont pas d'accord sur les textes et sur la procédure à suivre. L'audience est suspendue et je sors pour tenter de joindre ma psychologue et lui parler un peu .

J'ai oublié des éléments dans tout cela je pense, les émotions étaient si fortes que tout se mélange encore , je sais car D. me l'a dit qu'à un moment pendant que j'étais sortie mon avocate s'est énervée face à un des avocats de Taré 1er, soulignant ce qu'il me faisait subir en posant des questions aux experts, lui disant "vous nous faites honte". Pour moi c'est très précieux, car dans toute cette folie, dans ce cauchemar de ces deux jours, je me suis sentie défendue, j'ai compris ce que c'était d'être défendue, respectée . Ce que je n'ai pas eu étant enfant et adolescente. Si dans le futur procès il y a quelque chose de potentiellement réparateur, ça sera ce sentiment-là, ce vécu-là d'avoir quelqu'un pour me défendre de toutes ses forces.

Finalement pendant que je parlais au téléphone à ma psychologue, les gens sont sortis, c'était fini, Taré 1er partait directement en détention provisoire jusqu'au 25 juin, date du futur procès. Et moi j'étais là, paumée sur l'escalier, à échanger à nouveau quelques mots avec mon avocate et D.

La suite c'est cette impression d'avoir reçu un bâtiment sur la tête, d'être totalement en état de choc comme m'a dit ma maman de coeur quand elle m'a eue le soir où je ne pouvais cesser de répéter "ça devait être fini, je voulais que ce soit fini" . Il a fallu des heures et des jours et de la patience, du repos pour m'apaiser un peu, pour accepter qu'à nouveau je me retrouvais à J-3 mois, pour accepter qu'il allait falloir vivre quand même d'ici le 25 juin.

Aujourd'hui, je survis à cela en attendant, j'essaie de profiter de petits moments agréables même si le procès s'est rappelé à moi avec la réception de sa convocation par ma mère.

Je n'ose plus croire que le 27 juin je serai libre enfin, 4 ans et 5 mois après mon dépôt de plainte. Je n'y croirai que quand ça sera fini.

Je ne veux plus espérer.

 

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Publié dans La plainte

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A
Avec beaucoup de retard, je prends connaissance du détail de cette mascarade.<br /> Je suis heureuse que malgré tout ça, une petite étincelle ait pu te réchauffer au milieu de cette tempête... ton avocate qui te défend avec son coeur. C'est bien que c'est tout à fait mérité et que Taré 1er porte réellement bien son surnom.<br /> Mille pensées.
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P
Je vous souhaite aussi du courage. Je suis impressionnée par celui que vous avez déjà déployé jusqu'à présent... Toutes mes pensées avec vous !
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T
Courage.
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