La réalité
La réalité, ma réalité, leur réalité...
Vous pouvez la zapper bien sûr, d'un coup de télécommande, d'un coup de "y en a marre de leurs histoires de pédophilie à la télé" . Vous pouvez mais cette réalité ne changera pas pour autant.
Nous sommes là, vous nous croisez sans le savoir. Votre voisine qui a l'air d'aller si bien, qui plaisante tous les jours avec vous ? Votre neveu dont vous trouvez qu'il est vraiment "pas normal" à manger si peu, à faire des TS de temps à autre ? Votre collègue que vous avez déjà jugée folle, quand même hein elle a été internée, et puis toutes ces marques sur ses bras, on ne se fait pas de mal quand on n'est pas fou hein ?
Elle est là notre réalité, celle que personne n'a envie de voir, parce que chacun crève de trouille à l'idée que son enfant en passe par cette horreur, que son frère, sa meilleure amie, son voisin dise un jour "tu sais, j'ai été victime d'inceste"
Ils auront beau appuyer sur le bouton off de leur télécommande, nous sommes là, et notre souffrance aussi.
C'est quoi notre réalité ? C'est vivre avec la peur, vous me direz on a tous des peurs, oui mais cette peur là est tatouée, gravée, chevillée au corps, une peur savamment inoculée tel un poison, une peur mortelle.
La réalité, c'est elles, c'est eux, c'est moi.
La réalité c'est mon épuisement aujourd'hui, après trois jours à avoir tenter de joindre le commissariat. La réalité c'est passer du stress de l'attente pendant plus de 14 mois, à un autre stress, à la peur qu'il me tue, à la peur qu'il sache, à la peur que...quoi ? La peur que ce soit vrai tiens.
Bien sûr c'est vrai, bien sûr je le sais, mais elle devient encore plus réelle ma réalité dans ces moments-là, elle me hurle encore plus dans la tête tout le mal qu'il m'a fait, savamment, patiemment, jour après jour, semaines après semaines, mois après mois, années après années.
Depuis que je parle encore et encore de lui pour l'éloigner, pour revivre, pour vomir...il peut sembler irréel, loin. Les 14 mois d'attente peuvent faire "oublier" pourquoi j'ai porté plainte.
Mais non, ce n'était pas un cauchemar, c'était la réalité, ma réalité. Bien réels ces quasi 7 ans d'abus quotidiens, bien réelles la peur , la terreur, la honte, la culpabilité.
Bien réelles ces heures sous ses mains et aussi idiot que cela puisse paraître, savoir qu'il va probablement être auditionné ce mois-ci, ça fait remonter toute cette réalité, oui celle qui est là en permanence, tapie dans l'ombre.
J'ai porté plainte pour viols aggravés, je n'ai pas rêvé, pas cauchemardé.
Je volerais bien toutes les télécommandes du monde pour empêcher les "non-victimes" de zapper, de se dire que "y en a marre de ces histoires" tout en parlant de la cousine de l'amie de la voisine qui décidément a tout pour être heureuse et nous emmerde avec sa dépression .
Il disait quoi cet animateur à la télé ? Ah oui "ne zappez pas"
Non, ne zappez pas : la réalité, ma réalité, leur réalité.
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