L'annonce

Publié le par Opale

Cela faisait des mois, plus d'un an même que l'asso me conseillait régulièrement de parler à ma mère . Je ne voulais pas, c'était hors de question, et surtout je n'en ressentais pas le besoin .

Pourtant, comme tous mes "jamais" celui-ci a pris un coup dans l'aile. J'ai commencé de plus en plus à ressentir le besoin de lui parler , cela devenait entêtant.

J'en avais besoin, je savais qu'elle me croirait, mais j'avais si peur, tellement peur. Peur de quoi ? Mais qu'il nous tue bien sûr quand il saurait qu'elle est au courant.

 

Le besoin a enflé de plus en plus, j'étais dans un dilemme infernal, dès que j'y pensais j'avais l'impression que j'allais tomber dans les pommes .

Puis sont arrivées les idées noires, plus que noires même, je ne voyais qu'une solution, il fallait que je me sacrifie, je devais me tuer , comme ça personne ne saurait et il ne lui ferait pas de mal.

Heureusement je me suis fait peur à moi-même en en arrivant à de telles pensées et c'est là que je me suis décidée à consulter un psy, avril 2004...

Le contact n'est pas passé, trois séances espacées à chaque fois de trois semaines , aucune envie d'y aller et finalement cela m'a bien arrangée de devoir déménager suite au résultat de mon concours.

Bien évidemment le dilemme est resté, épuisant, dangereux.

Cet été là j'ai eu pour la première fois (et pour l'instant la dernière...) un "amoureux" . Ca n'a duré que deux mois hélas mais enfin quelqu'un m'aimait, enfin je me balladais main dans la main avec ce garçon tendre, beau, adorable.

Il ne se sentait pas la force d'affronter ce que je vivais et ne comprenait pas que je ne parle pas à ma mère . On a fait une "pause".

J'ai beaucoup réfléchi, je ne voulais pas que mon agresseur puisse aussi me gâcher ce bonheur-là.

 

Le 16 septembre 2004 j'étais chez ma mère pour une formation au Rectorat. Elle m'y a emmenée et là , dans la voiture, en deux minutes j'ai pris ma décision.

- "Maman j'ai quelque chose d'important à te dire , S. m'a touchée "

- "Quoi ??? Oh le salaud ! Il t'a violée ?"

J'ai répondu non à cette question, ne voulant pas rentrer dans les détails, sachant que ma mère pensait au viol le plus "classique" , bref j'ai dit non , ce n'est qu'il y a peu qu'elle a découvert via la justice que oui il m'avait violée.

 

Je lui ai donc annoncé ça brutalement, en deux minutes, lui disant de ne surtout rien dire à S. , je ne voulais pas qu'il sache, j'avais trop peur.

Et je l'ai laissée là avec cette nouvelle, allant faire ma journée de formation comme si de rien n'était.

Le midi je l'ai appelée , j'étais inquiète je me demandais si elle avait tenu en le voyant en rentrant. Elle avait tenu.

 

Plusieurs mois se sont écoulés, je continuais à venir régulièrement chez elle, je le voyais lui, il ne savait pas que j'avais parlé, c'était une situation intenable mais comme d'habitude je tenais.

Malgré tout peu à peu je me sentais de plus en plus mal, parfois en colère , parfois avec l'envie qu'elle lui dise, qu'elle éclate, mais en même temps une peur immense, bien trop peur de ce qu'il pourrait lui faire, nous faire.

 

Six mois après mes révélations, je l'ai eue au téléphone, j'étais mal et pour une fois ça se sentait vraiment. Et ça additionné au fait qu'un oncle venait de mourir , l'a amenée à exploser.

Un matin de mars 2005 , elle lui a tout balancé, lui a dit qu'elle savait, a sûrement crié, je ne sais pas.

Lui est resté de marbre, comme quand elle gueulait pour des raisons bien plus futiles. Il n'a pas ouvert la bouche et comme il le faisait dans ces cas-là ,  est parti faire un tour sans un mot.

 

En fin d'après-midi elle m'a appelée pour m'expliquer cela, et qu'il n'était pas rentré le midi . J'étais terrifiée, c'était mauvais signe, c'était certain il allait rentrer ivre mort.

Je lui ai conseillé, je dirais même ordonné, de mettre le téléphone dans sa chambre, de fermer sa chambre à clé.

J'ai appelé ma maman de coeur, en larmes, totalement perdue devant ce qui allait se passer.

 

Vers une heure du matin ma mère m'a appelée pour me dire de "ne pas m'inquièter" , qu'il avait été emmené par les flics en cellule de dégrisement.

Ne pas m'inquièter tu parles...

J'apprenais qu'en effet il était rentré ivre mort, qu'il avait crié, menacé, qu'elle était enfermée dans sa chambre comme prévu et qu'il avait tapé dans la porte menaçant d'être "encore plus méchant" 

Elle avait alors pris son sac, ses clés et était passée par la fenêtre, du rez-de-chaussée heureusement, du haut de ses 64 ans, pour prendre sa voiture et aller voir les flics.

Ca me déchire le coeur chaque fois que j'y pense. Une partie de moi se demande ce qui serait arrivé si elle avait été à l'étage et n'avait pas pu fuir.

Ils sont venus, ce connard s'était endormi, ils l'ont réveillé, ont posé les questions d'usage sur l'identité, lui ont repris les clés de l'appartement, il a tranquillement fini sa bouteille devant les flics et ils l'ont emmené.

 

Le lendemain matin je travaillais au collège. C'est la seule fois de ma vie où je me suis effondrée au boulot . Je pleurais, le proviseur adjoint me disait de rentrer chez moi, d'aller chez ma mère , je lui ai répondu "elle est en danger" , je ne faisais plus attention au fait que ce soit mon chef, c'était bien trop lourd et éprouvant je ne gérais plus.

J'ai brièvement expliqué ce qui m'était arrivé, puis je suis allée voir la CPE une femme extraordinairement humaine avec qui j'avais déjà un peu évoqué mon histoire quand j'ai su qu'une élève avait été victime d'inceste .

Je suis rentrée chez moi ensuite je ne sais pas trop comment, j'ai su qu'ils l'avaient relâché (forcément il était juste saoûl , pas de plainte à l'époque de ma part) 

Il est revenu une fois sonner pour récupérer quelques habits mais ma mère lui a dit que s'il voulait les récupérer il devait venir avec la police. Fin de l'histoire.

 

Ca a été le début de mois de terreur, ne plus oser aller là-bas, ou y aller et devenir presque violente si ma mère n'allait pas vérifier de suite que la porte était bien fermée.

Etre chez moi, à 60 kilomètres de là, et fenêtre ouverte l'imaginer en face avec un flingue, prêt à me tuer.

La valse des cauchemars où je sentais la balle arriver sur moi, la chaleur de cette balle.

Les centaines de fois où j'ai rêvé que ma mère le reprenait ou qu'il revenait.

Les centaines de fois où, bien réveillée chez elle, je croyais entendre la porte d'entrée.

 

Il m'arrive encore régulièrement de rêver qu'il revient, qu'elle le reprend chez elle . Ca n'a pourtant jamais été le cas, ça n'a jamais été évoqué, et malgré ça parfois au réveil je dois VRAIMENT réfléchir pour me souvenir que non il n'est jamais revenu depuis.

 

Désormais il habite à cinq minutes à pied de chez elle, mais il habite surtout encore bien trop souvent dans ma tête.

 


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Publié dans émotions en vrac...

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