Objet

Publié le par Opale

Il aura suffi d'une question mal, très mal placée pour que remonte à la surface ce ressenti.

15 minutes passées avec le Dr Givré, qui alors que je ne le connais pas me demande si j'ai fait une fellation à mon agresseur, et me voilà repartie à me battre avec mes souvenirs, mes peurs, mes ressentis.

Une séance psy plus tard à tenter de s'expliquer pourquoi ça me met si mal alors que je n'ai pas subi ce dont il a parlé et les mots sont posés "soumission" "impuissance" objet" ..

Comment expliquer cette impression d'être un objet, comment expliquer, sans donner de détails d'abus (ce que je m'interdis le plus possible sur ce blog ) à quel point ça vous amène près de la folie ce ressenti ?

Je dis souvent que l'abuseur a "la télécommande" , ça pourrait presque suffire à tout expliquer. Vous n'êtes plus rien, vous ne décidez plus de rien, il appuie sur tel ou tel bouton et observe avec toute sa perversité comment son jouet lui obéit bien .

Votre tête dit non , votre corps agit, ressent, subit.

Et quand depuis la consultation avec Dr Givré je pense à toutes ces années, c'est ce que je vois, c'est ce que je ressens . Un objet, très élaboré, un jouet qu'on programme à sa guise. Un jouet qui visiblement devient obsédant.

Qu'est-on d'autre qu'un jouet obsédant pour un regard obsédé , quand 2, 3, 10 fois par jour pendant six ans des mains se posent sur vous, dès que vous êtes à portée de ces mains, dès que la pièce où vous vous trouvez est vide.

Plus qu'un objet, un robot, car programmable oui, il suffit de quelques jours, de quelques semaines, pour que de lui-même le robot sache quand il faut obéir, sache quand il faut se déshabiller, sache quand il faut vite faire semblant de rien car la mère revient.

Au moment où on le vit, on ne le sait pas forcément qu'on est un objet, car non, quand on subit des abus sexuels, on se dit finalement assez rarement "oh la la je suis en train de me faire agresser" , non, on se dit plutôt "oh la la JE suis en train de faire quelque chose de mal AVEC lui ", complice, coupable, pour échapper à la folie qu'amènerait si jeune le fait de voir qu'on est un objet et que non l'agresseur ne nous aime pas, non il ne prend pas soin de nous.

Dans mon histoire il semblait en prendre soin de son objet, de son jouet, c'est vrai.

La première fois, cette première fois où ses mains sont passées sous mon t-shirt de pyjama puis ailleurs, il m'a demandé si ça allait.

Joli piège, car quelle est la définition de "ça va ? " dans ces circonstances ?

Dans la tête d'un enfant, d'un ado, "ça va" s'il est content ou s'il n'est pas malade ou s'il n'y a rien à signaler et "ça ne va pas " s'il est triste, malade, en colère. Mais là ? Ca ne rentre pas dans les cases , pas malade, pas triste, pas en colère, juste totalement perdue, aspirée par une incompréhension et une impuissance qui dépassent tout .

Alors déjà on est programmé car soit on ne répond pas, incapable de le faire, soit on répond que "oui ça va " tout en se demandant ce qu'on est en train de dire, ce qui est en train de se passer, ce qui va continuer à se passer .

Les jours, les semaines les années passent, à se croire coupable, complice .

Et puis quand au détour d'un mot tout revient, on se reprend violemment la réalité en tête et les souvenirs affluent, on se souvient qu'on n'était plus que ça, un corps qu'il veut toucher, avec ou sans vêtements selon le temps imparti, mais un corps, pas une tête, pas un esprit, non une chose avec de la peau dessus, une chose qu'on a tant et tant déjà touché qu'on sait que jamais elle ne pourra s'enfuir, puisque c'est désormais son quotidien. Aller porter un café pour dire bonjour ? Touchée. Se rapprocher quand sa mère est dans la cuisine, aux toilettes, à la salle de bain ? Touchée . Se pencher et regarder un livre au dessus de son épaule ? Touchée. La mère partie travailler pour la nuit ? Touchée.

Sans violence, sans menace, un regard, un "tu vas te préparer" et le robot obéit.

Des couches de vêtements trop nombreuses et la voix du "maître" qui dit que ce n'est pas pratique ? A peine dit que le robot a remédié à cela, mécaniquement.

Quand des années plus tard vous tentez de redevenir un être humain, et que votre passé de robot vous saute au visage, c'est juste insupportable. Mille et mille fois les mêmes images, mille et mille fois se voir agir mécaniquement, ne plus s'en vouloir mais en avoir mal à crever d'avoir été programmée. Mille et mille fois revoir le regard obsédé qui s'il n'a qu'une petite seconde fera ses gestes de loin, sans toucher, mais avilissant tout de même.

Et forcément les cauchemars, il est là, il est revenu, se réveiller le matin et devoir réfléchir pour savoir s'il est revenu réellement. Le "voir" la nuit et l'entendre dire "ah si, il faut" avant de toucher encore et encore.

Se noyer dans les mots, se noyer dans les conseils, il faut vivre et on veut vivre et pourtant c'est là, ça tire vers le bas, ça met des gifles encore et encore, ça broie le coeur en une seconde.

On s'y perd, tout se mélange, le passé et le présent, un mot et on prend peur, on serait prêt à obéir. Bon robot bien programmé. On perd la raison,on se dit ou plutôt on ressent qu'il faut obéir à tout le monde, que c'est comme ça, qu'on le doit , qu'on est fait pour ça, objet, juste objet.

Heureusement on pose les mots, heureusement il y a la thérapie, heureusement il y a l'écrit, le temps de refaire surface, le temps de ne pas faire de connerie, le temps de réaliser que non on n'est plus un objet même si on se déteste encore tant et tant.

Les agresseurs sont des voleurs d'âmes, de cerveau, de corps, d'images. Ils ne laissent rien de vivant ou si peu de chose .

Plus qu'à se reconstruire...en sujet.

 

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Publié dans émotions en vrac...

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C
Ce robot je le suis toujours et j ai enfin pu mettre un nom sur cette etat (enfin) .<br /> L'histoire est compliquer mais tjr là . <br /> Elle,elles,ils sont tjr present .Me manipulent a leur guise mais grace a cette &quot;robotisation&quot; je ne me souvient pas de tout .Merci la dissociation,le deni ou peut importe le nom qu'il ns laisse ,d etre la avec moi et de me &quot;soutenir&quot;
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